En moyenne, 138,6 kilogrammes de Déchets dits d’Activités de Soins à Risque Infectieux (DASRI) sont produits par jour au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Sylvanus Olympio selon une étude réalisée en 2013 par des chercheurs de l’Université de Lomé. La même étude estime entre 12 et 16m3, la quantité d’eaux usées produite quotidiennement par la clinique BIASA à Lomé.
Le traitement de ces déchets, du fait des risques qu’ils représentent, nécessite des mesures spécifiques qui ne sont souvent pas prises par la plupart de nos hôpitaux. Or, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ceux-ci représentent des risques de contamination élevés, surtout pour les hépatites et le VIH, non seulement pour le personnel de santé mais aussi pour l’ensemble de la population. Quel circuit suivent ces déchets de leur production jusqu’à leur destination finale ? Quels risques encourent les populations ? Enquête !
Deux types de déchets sont produits dans un centre de santé. D’abord les Déchets Assimilés aux Ordures Ménagères (DAOM). Ce sont en général des ordures générées par les patients, les visiteurs et le personnel soignant : restes de nourriture, papiers, sachets plastiques…Ce type de déchet constitue près de 80% des déchets quotidiennement générés par un centre de santé. Ensuite ceux relatifs aux activités à risque Infectieux appelé dans le jargon médical les Déchets d’Activité de soins à Risque Infectieux (DASRI) ; ceux qui nous intéressent dans le cadre de cette enquête. Exclusivement générés par le personnel soignant (surtout dans les laboratoires, en chirurgie et en infirmerie), ils sont de deux ordres selon Madame TAKASSI Chantal, assistante médicale génie sanitaire, chef service Hygiène Assainissement au CHU Sylvanus Olympio.
« On y retrouve les déchets mous, composés de seringues sans aiguille, des tubulures et poche de perfusion, des cotons, pansements, souillés de liquide biologique (sang). Ils sont collectés et stockés dans des poubelles contenant des imperméables distinctifs. La seconde catégorie des DSRI, celle encore plus dangereuse est celle des OPCT (Objets Piquants Coupants et Tranchants)»précise-telle.
A cette catégorie on peut ajouter, souligne-t-elle, les eaux usées composées de reste de matière fécale utilisée pour des analyses dans les laboratoires, les liquides biologiques…Cette dernière catégorie de déchets du fait du danger qu’elle représente nécessite un traitement spécifique. Selon l’OMS, ces déchets doivent dans un premier temps faire l’objet d’un tri afin d’en distinguer les déchets mous des OCPT. Une fois triés, la technique conventionnelle d’élimination des déchets biomédicaux solides reste l’incinération. Les centres de santé doivent à cet effet disposer d’incinérateur dans une zone reculée et s’assurer des mesures de sécurité strictes dans le transport de ces déchets pour éviter les contaminations et les pollutions.
Les eaux usées quand à elles doivent être épurées dans une station prévue en vue d’en éliminer toute matière polluante. Pour ce qui est du stockage, les mesures n’en sont pas moins spécifiques. Selon la technique de collecte et de stockage recommandée par l’OMS, les OCPT doivent être stockés et conditionnés dans des conteneurs ou boîte de sécurité (bidons rigides et transparents de 10 à 15l conçus spécialement à cet effet) pour limiter les risques d’accident sanitaire. Les boites en carton sont à proscrire. Ces mesures bien connues des professionnels de santé ne sont malheureusement pas respectées dans les centres médicaux en général et ceux publics en particulier.
Pratiques à risques…
Il est 5h30 ce lundi. Vêtus chacun d’un gilet vert, de gants de protection et de bottes, deux hommes d’une trentaine d’années sont occupés à charger, avec des sachets de couleur bleu et noir, un tricycle dont le porte bagage est couvert de bâche devant l’hôpital de Bè. Ce sont des employés de « Nettoyage pour Tous», la structure qui s’occupe de la gestion de tout type de déchets produits par l’hôpital.
Trois fois par semaine (lundi, mercredi, vendredi), ils récupèrent tous les déchets entreposés au préalable dans des magasins de l’hôpital de Bé. Nous découvrirons plus tard que les couleurs noire et bleue des sachets permettent de différencier les déchets Assimilés aux ordures Ménagères (DAOM) des déchets d’Activités de Soins à Risques Infectieux (DASRI) afin de leur appliquer les traitements requis.
Trois quart d’heures plus tard, les six (6) sachets noirs de DAOM (reste d’aliments, boite de médicaments) et des quatre (4) gros sacs bleus (environ 40kg chacun) contenant des DASRI (déchets de la chirurgie, de la maternité, de laboratoire) seront déversés sans aucune forme de précautions, sur la décharge intermédiaire de CEBEVITO située entre l’Ecole Primaire publique de Cébévito et la lagune de Hanoukopé, après avoir traversé la ville et laissé couler de leur tricycle du liquide biologique. Contactée pour connaître la destination contractuelle finale des déchets médicaux, la Direction de la société « Nettoyage pour Tous » allègue dans un premier temps que les DASRI sont incinérés sur la décharge de Zanguéra.
Avant de finir, confrontée à nos éléments de preuve, par reconnaître que certains de ses agents, indélicats et véreux les déchargent sur les dépotoirs intermédiaires de la ville. Sont-ils sanctionnés ? On n’en saura rien. Selon nos informations, à peine 10% des établissements de soins au Togo prennent véritablement à charge l’élimination de leur DASRI, conformément aux dispositions règlementaires.
Le cas du CHU S.O. Au CHU Sylvanus Olympio, le centre hospitalier de référence du pays, par exemple, bien que les mesures de collectes et de stockage de ses déchets soient respectées, le traitement final laisse à désirer. En effet, le centre dispose d’un incinérateur implanté depuis 1999 mais qui, en panne depuis 2003, n’arrive plus à couvrir ses besoins. C’est donc dans l’enceinte de l’hôpital, sur le site d’entreposage des déchets à quelques mètres de l’incinérateur en panne et à ciel ouvert, que la grande partie de déchets à risques est brulée au gasoil. L’autre partie dont la gestion est confiée à la structure « Nettoyage pour Tous» subit le même sort que les déchets à risques de l’hôpital de Bè.
Pour gérer les eaux usées, le centre disposait également, à sa construction, d’un système d’épuration. En panne depuis plusieurs années, une partie des déchets liquides qui y sont produits sont directement déversés dans la nature via les égouts ; l’autre partie va dans les fosses sceptiques du centre. Ce n’est que dans quelques cliniques privées de la capitale, à l’instar de la clinique BIASA, que les mesures de traitement de ces déchets semblent plus ou moins respectées. Le centre dispose en effet d’une mini-station d’épuration qui traite les quelques 16m3 d’eaux usées produites par jour avant de les déverser dans les égouts. Elle s’assure de même de l’incinération de ses déchets solides à l’Institut National d’Hygiène qui dispose pratiquement du seul incinérateur au Togo.
Un seul incinérateur pour tout le Togo
Quelques fours à combustion de gasoil, de pétrole ou de bois font office d’incinérateur pour l’élimination des DASRI solides générés par les centres sanitaires de district. Le four construit à Katanga (bidonville de la zone portuaire), pour servir à l’incinération des micros déchets durant les campagnes de vaccination par exemple est récupéré par les hôpitaux du district numéro 3 (Bé, Gbégnidji, Gbétchokpé …) juste pour l’incinération des boites OCPT. A Adidogomé, c’est le four de la clinique Régina Paticis, d’une capacité plus importante, qui est exploité par quelques cliniques confessionnelles de la capitale.
Le seul véritable incinérateur public est celui qu’abrite l’Institut National d’Hygiène (zone administrative) depuis 2004. D’une capacité de 12Kg/ h et pour une température maximale de 1300 degrés °C, il sert à l’élimination des déchets produits par l’Institut mais aussi de ceux d’environ dix cliniques qui le sollicitent notamment BIASA, BARRUET, Sainte Hélène, les infirmeries de Cimtogo, de l’Ambassade des USA … En définitive, pour environ 933 structures sanitaires, dont 630 structures publiques et 303 structures privées qui existent au Togo, le pays ne dispose quasiment que d’un seul incinérateur pour le traitement des DASRI solides.
Dangers…
En 2002, les résultats d’une étude de l’OMS conduite dans 22 pays en voie de développement ont montré que la proportion des établissements de santé qui n’éliminent pas correctement leurs déchets de soins avoisineraient 64% selon les cas. La mauvaise gestion de ces déchets à risques peut mettre, pourtant, en danger le personnel de soins, les employés s’occupant des déchets médicaux et l’ensemble de la population. Une autre étude de l’OMS indique que rien que pour l’année 2000, le mauvais traitement des déchets à risques, surtout des OPCT, a été responsable de 21 millions d’infections à virus de l’hépatite B (HBV) (soit 32 % de toutes les nouvelles infections), 2 millions d’infections à virus de l’hépatite C (HCV) (soit 40 % de toutes les nouvelles infections) plus de 260 000 infections à VIH (soit 5 % de toutes les nouvelles infections) aussi bien au niveau du personnel soignant que de l’ensemble de la population.
Lorsqu’ils ne sont pas déchargés à l’air libre sur des dépotoirs publics, certains de ces déchets sont enfouis dans le sol. Cette pratique n’est pas moins dangereuse, selon M. Guido Ovidio De Souza, Ingénieur Eaux et Environnement, responsable hygiène et assainissement à la clinique BIASA, car elle contribue à la pollution de l’environnement et expose la population aux risques d’infections. « La nappe phréatique n’étant pas assez profonde dans la plupart des quartiers de Lomé, les enfouissements contaminent et polluent l’eau du sous-sol et par-là celle des puits. Ces déchets peuvent également avoir d’impact sur les cultures. Pire, ils contiennent des matériels non biodégradables» explique –t-il.
Et même lorsqu’ils sont incinérés, le fait que l’incinération soit faite en zone urbaine représente un risque sanitaire énorme pour les populations. Selon plusieurs environnementalistes, dont l’ingénieur De Souza Ovido, l’installation et le fonctionnement des incinérateurs en zone urbaine exposent, en effet, les populations aux risques d’infections, de maladies cardiovasculaires et de dermatose.
Dans certains cas, explique l’expert, notamment lorsque les déchets sont incinérés à basse température ou que des matières plastiques contenant du poly (chlorure de vinyle) (PVC) sont incinérées, il se forme des dioxines, des furanes et divers autres polluants aériens toxiques qui sont émis et/ou que l’on retrouve dans les cendres résiduelles et les cendres volantes (transportées par l’air et les gaz effluents qui sortent de la cheminée de l’incinérateur).
L’exposition aux dioxines et aux furanes peut savoir des effets dommageables pour la santé. Il est vrai que le Togo ne dispose pas de texte formel qui règlemente la gestion des DASRI. Mais le code togolais de la Santé publique indique que « le déversement et l’enfouissement des déchets toxiques industriels, des déchets biomédicaux ou hospitaliers et spéciaux sont interdits. Ces types de déchets doivent être éliminés impérativement, conformément aux dispositions des textes nationaux et internationaux applicables au Togo».
Il revient donc aux professionnels de santé, par éthique, de prendre des dispositions régulières dans le traitement des déchets biomédicaux afin d’éviter de mettre en péril la vie de leurs concitoyens qu’ils ont juré de protéger.
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