Une équipe de 11000 chercheurs issue de 153 pays différents a lancé le 5 novembre dernier une alerte sur « l’urgence climatique » dans le monde. D’après ces chercheurs, « sans changements profonds et durables » les catastrophes naturelles dus au réchauffement climatiques devraient s’intensifier dans les années à venir.
Tout comme plusieurs pays en développement, le Togo n’échappe pas à cette alerte. En témoignent les conclusions d’une étude sur la fragilité écologique du Grand Lomé réalisée par Prosper Sèkdja Samon, Doctorant en Sociologie de l’Environnement à l’Université de Lomé.
Publié aux éditions universitaires européennes, l’ouvrage intitulé « Fragilité écologique du grand Lomé : Analyse à partir des politiques publiques en matière environnementale du Togo » fait l’autopsie de la situation écologique de Lomé la capitale togolaise.
Quelques jours après la publication de l’ouvrage, ScienceActu s’est entretenu avec Prosper Sèkdja Samon sur les grandes conclusions de son étude.
Quelle est aujourd’hui la situation écologique du Grand Lomé, zone sur laquelle a porté votre étude ?
Il suffit de faire un petit tour dans la ville de Lomé pour constater des dépotoirs dans pratiquement chaque coin de rue de la capitale, prouvant toute la difficulté éprouvée à les gérer. Aussi, les inondations qui surviennent dès qu’une pluie s’abat sur la ville compliquant le vécu des citadins en est une preuve.
Il ne faut pas oublier que Lomé présente une façade maritime qui est en proie à une érosion côtière due à la fonte des glaciers occasionnée par le réchauffement climatique, mais qui se trouve exacerbée par les activités portuaires et des actes éco destructeurs des riverains comme le prélèvement du sable et du gravier marin.
Le Togo perd 12 mètres par an de sa côte à cause de ces phénomènes sans oublier les pertes économiques qui sont chiffrées à des centaines de milliards de dollars. Tout ceci prouve à suffisance la crise écologique dans laquelle la capitale togolaise se trouve engluée.
Cette année encore, Lomé n’a pas échappé aux séries d’inondations malgré les différents plans de lutte contre les effets du climat lancés par l’Etat togolais. Doit-on en conclure que ces plans d’actions ont été un échec ?
Les problèmes d’inondation dont souffre Lomé ne datent pas d’aujourd’hui. La toute première remonte à 1969 avec son lot de dégâts matériels et économiques. Depuis lors plusieurs plans se sont succédés, plusieurs commissions (ad ’hoc), plusieurs fonds mis en branle, mais le problème semble persister.
Je ne suis pas géographe, mais du peu que je sais, je dirai que la ville de Lomé présente elle-même une topographie naturelle déséquilibrée la rendant sujette aux inondations (la natte phréatique se trouve à fleur du sol, la pente est de 4% ne facilitant pas l’écoulement des eaux de surfaces, etc.).
Quoiqu’il en soit et conscient de cela, des plans et autres instruments institutionnels et juridiques ont été mobilisés afin de venir à bout du phénomène.
Si le phénomène persiste, soit c’est parce que les plans ne sont pas adaptés à la situation, soit c’est parce que les plans sont dépassés à cause des caprices de dame nature qui sont changeants. Loin de vouloir dédouaner qui que ce soit, je dirai que même les villes comme Paris, Shanghai, Accra, Floride connaissent des inondations.
Le travail à faire est d’arriver à arrimer ces plans à la réalité du terrain, ce qui pour le moment reste problématique.
Votre ouvrage fait justement une analyse des politiques publiques en matière environnementale au Togo. Quelles en sont les grandes conclusions?
Je suis parti de trois problèmes qui me semblaient majeurs et qui rendaient fragile l’écologie du Grand Lomé : la gestion des déchets, les inondations, puis l’érosion côtière. Il s’est agi de voir comment les politiques publiques en matière environnementale s’implémentaient dans la résolution de ces problèmes écologiques et comprendre pourquoi malgré l’existence des politiques, la capitale du Togo, éprouve autant de difficultés ? Notre analyse nous a permis de déceler des distorsions de plusieurs ordres.
Il s’agit d’abord d’une distorsion politico-administrative marquée par une profusion d’institutions impliquées dans la gestion environnementale ayant parfois des similitudes dans leurs attributions ce qui est source d’opposition entre elles.
On note également une indépendance négative de certaines institutions dans la gestion de l’environnement privilégiant l’action sectorielle au détriment de la politique étatique. En exemple nous citons la fabrication du sachet plastique. Une loi interdit son utilisation, mais on autorise sa production et sa commercialisation dans la zone franche, ce qui est contradictoire.
On a pu déceler également un réel fossé entre les institutions publiques et les Organisations de la Société Civile ce qui n’est pas de l’ordre à répondre efficacement face aux problèmes.
Il y a ensuite une distorsion d’ordre juridique matérialisé par le fait que le Togo a signé et ratifié plusieurs textes mais peine à les appliquer. Un réel problème de volonté politique se pose à ce niveau et c’est l’écologie du grand Lomé qui en pâtit.
Nous avons noté aussi une distorsion d’ordre technique marqué par le fait que le personnel impliqué dans l’administration publique est insuffisant du point de vue qualité et quantité et les équipements disponibles pour répondre aux problèmes environnementaux dans le grand Lomé sont dérisoires.
En dernier ressort, il y a la distorsion d’ordre informationnel. Les populations que nous avons enquêtées nous ont avouées n’avoir pas grande connaissance de la législation et de la réglementation en vigueur en matière d’environnement au Togo.
Cela peut être dû au niveau d’alphabétisation relativement bas des populations, à la non-traduction des textes en langues nationales la non vulgarisation des textes par affiche ou par sensibilisation, etc. Aussi, la population n’est impliquée en rien dans la prise des décisions, or ce sont elles les premières victimes.
Et quels peuvent être les mécanismes à mettre en place selon vous pour impliquer les populations dans les efforts de résilience au climat ?
L’éducation au climat est sine qua none, sans quoi, tout effort restera vain. Dans un premier temps, il s’agit de faire prendre conscience à la population de l’urgence climatique dans laquelle nous sommes.
Ensuite, mettre en place des cadres d’appui aux formations des populations sur le leadership environnemental, l’écocitoyenneté, le développement local et le développement durable.
Je parle d’appui, puisque je sais le travail formidable que les ONG font déjà sur le terrain, il s’agira donc pour les pouvoirs publics de les appuyer techniquement.
Autre mécanisme serait d’organiser des campagnes de sensibilisation afin de les amener à prendre parti dans cette lutte que ce soit au travers de la plantation des arbres, de la bonne gestion de leurs déchets, à l’adoption des actes éco responsables, etc. la solution ne viendra que de la population.
Hector NAMMANGUE
Laisser un commentaire